Le dernier Dragon
Résumé
Je suis rompu à la peur. Lorsque j'étais enfant, je craignais les cauchemars, l'obscurité et les brigands venus des marais. Bien des années plus tard, j'ai redouté mes propres faiblesses, mes ennemis, les loups, l'enfer et l'emprise d'une sorcière dont le destin me fit croiser la route. Mais ces inquiétudes n'eurent jamais rien de comparable avec l'effroi dont mon âme fut saisie, ce matin-là, sur les rivages souillés de cendres de la crique de Saint Alfric. L'air empestait le soufre et la mort. J'avais la certitude que c'était là, en ce lieu maudit, que ma chère Jing-Wei et moi devions perdre la vie. Le visage de mon amie, tourné vers la falaise déchiquetée et l'entrée étroite de la caverne où se terrait notre ennemi mortel, ne trahissait aucune émotion. Les rochers alentour étaient maculés de sang et de suie. Un corps - j'étais incapable de dire s'il s'agissait d'un homme ou d'un animal - gisait à l'entrée du repaire. Un autre cadavre reposait sur la plage, non loin de nous : des os calcinés et les restes d'une main serrée sur une épée. Nous le terrasserons, Jude, dit Jing-Wei en s'approchant de moi, boitant bas parmi les pierres calcinées. Ses pieds bandés étaient noirs de suie. Ses lèvres charmantes et sa peau brune étaient maculées de cendres grises. Tout en elle était étrange. Elle était petite, et si fragile en comparaison du danger qu'elle s'apprêtait à affronter. Nous le terrasserons, répéta-t-elle. Elle m entraîna à l'écart pour me préserver de la vision du corps sans vie du soldat. Puis elle se tut et considéra fixement la falaise. Ses yeux en amande étaient noirs comme la nuit, lourds des secrets qu'elle se refusait à me révéler. Elle se tenait si droite, si immobile, si résolue que, l'espace d'un instant, je sentis sa confiance me gagner, avant que le doute et l'angoisse ne me saisissent de nouveau. Je maudis une fois encore la sorcière qui l'avait convaincue d'entreprendre cette folie et me reprochai amèrement de l'avoir accompagnée. Où que mon regard se posât, tout m'était insupportable. Je tremblais de peur et, je ne crains pas de le confesser, de honte. Des larmes roulèrent sur mes joues, car l'odeur de la mort réveillait en moi d'affreux souvenirs. J'avais déjà humé cette puanteur, dans les ruines de mon village. Je puisai du courage dans le visage de Jing-Wei. Elle restait sereine, indéchiffrable. Je ne pouvais qu'imaginer les souffrances que son âme avait endurées. Comme moi, elle avait tout perdu - tout, jusqu'à son nom -, puis avait été exhibée comme un monstre de foire. C'est là, sans doute, enfermée dans sa cage, humiliée, salie et insultée par les curieux, qu'elle avait appris à taire ses sentiments. J'avoue, non sans remords, que le jour de notre rencontre, je l'ai moi aussi prise pour une créature bestiale, pourvue de griffes et de sabots. J'en sais long sur elle désormais, même si je ne pourrai sans doute jamais prétendre la connaître. Nous avons traversé côte à côte de douloureuses épreuves, nous sommes descendus en enfer et en sommes revenus sains et saufs sans jamais nous lâcher la main, mais elle reste un mystère à mes yeux. Mais voilà que je m'égare et que je perds le fil de mon récit. Je ferais mieux de commencer par le début.
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