Ecoute ma voix
Résumé
Peut-être le premier signe a-t-il été l'abattage de l'arbre. J'ai découvert le désastre en rentrant de l'école. Sur le pré, à la place du noyer, il y avait un gouffre noir; le tronc, déjà scié en trois morceaux et dépouillé de ses branches, gisait au sol pendant qu'un homme au visage cramoisi, enveloppé dans la fumée sale du gasoil, tentait d'extirper les racines avec les crocs d'une excavatrice; l'engin grondait, soufflait, reculait, se cabrait au milieu des imprécations de l'ouvrier : ces maudites racines ne voulaient pas quitter la terre, elles étaient plus profondes que prévu, plus obstinées. Mon arbre - l'arbre avec lequel j'avais grandi, et dont j'étais sûre qu'il m'aurait accompagnée au fil des ans, l'arbre sous lequel je pensais voir grandir mes propres enfants - avait été arraché. Sa chute avait entraîné beaucoup de choses avec elle : mon sommeil, ma gaieté, mon insouciance apparente. Le crépitement de sa chute, une explosion; un avant, un après ; une lumière différente, l'obscurité qui se fait intermittente. Obscurité de jour, obscurité de nuit, obscurité en plein coeur de l'été. Et du fond de l'obscurité, une certitude : le marécage dans lequel je suis obligée d'avancer, c'est la douleur. Après la mort du grand noyer, j'ai pleuré pendant des jours. Au début, tu as essayé de me consoler : comment le fait d'avoir coupé une plante pouvait-il provoquer un tel désespoir ? Toi aussi tu aimais les arbres, tu n'aurais jamais fait cela exprès pour me contrarier ; tu avais pris cette décision parce qu'il était source de problèmes, il était trop près de la maison et du cèdre ; les arbres ont besoin d'espace, me répétais-tu, et puis un jour, qui sait, une racine aurait surgi de l'écoulement de la baignoire comme le tentacule d'un nautile : je ne voulais tout de même pas qu'il arrive une chose aussi terrifiante ? Tu essayais de me faire rire, ou tout au moins sourire, sans succès.
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