La prudence chez Aristote
Résumé
Faire d'Aristote un Aufklârer serait méconnaître ce qu'il y a en lui de religiosité authentique, cette intuition de la transcendance et du chorismos, qui sont la raison profonde de sa prudence spéculative. Faire d'Aristote un tragique serait méconnaître cette confiance en l'homme, en sa recherche et en son action, qui tranche sur les lamentations du chœur de la tragédie et sur une certaine résignation socratique et, avant la lettre, stoïcienne. Mais Aristote exalte l'homme sans le diviniser ; il en fait le centre de son éthique, mais il sait que l'éthique n'est pas ce qu'il y a de plus haut, que Dieu est au-delà des catégories éthiques, ou plutôt que l'éthique se constitue dans la distance qui sépare l'homme de Dieu. Livré à ses seules forces par un Dieu trop lointain, qui est suffisamment visible pour être désiré, mais se tient trop à distance pour être possédé, l'homme est en butte, dans la région du monde qu'il habite, à un hasard qu'il ne peut entièrement dominer. Ou plutôt la vie de l'homme se meut entre deux hasards le Hasard fondamental de la naissance, qui fait que la bonne nature n'est pas également partagée ; le hasard résiduel de l'action, qui fait que les résultats ne sont jamais tout à fait prévisibles. Mais le hasard de la naissance est le hasard résiduel de l'action divine, et la grandeur de l'homme consiste, en prolongeant par la prudence l'action d'une Providence défaillante, à reculer le plus possible les limites de l'imprévisible et de l'inhumain. Pierre Aubenque.
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